Cas 20.14
PILOTAGE SIMULTANE ET REMISE DE
GAZ
A320 – LIN/CDG
De jour
Météo:
1/2 havant: 200
°
/29-37 kt, 12 km, 7/1400 ft, 11 °,
ONH : 1001 hPa,
1/ h après: 220°/31-45 kt, 15 km,
pluie,
7/1100 ft, 11 °, ONH : 1001
hPa,
Masse à l'atterrissage: 53 t, Vref
volets 3 =
131 kt
Exposé : Attention, dans l'état actuel des enregistrements
A.320, les conventions de signe sont inversées entre la demande du
manche et le résultat sur l'avion.
Le
débattement maximum du
manche est de 16 ° en
profondeur et de 20 ° en roulis.
La configuration volets 3 est obtenue à 1300 ft, le PA est débrayé
à 1000 ft et l'autopoussée maintenue en mode SPEED. La turbulence
liée au vent fort est assez importante puisque l'accélération
normale varie de 0,83 à 1,28 g pendant l'approche. La remise de
gaz est initialisée pratiquement au toucher des roues (TLA
enregistrées toutes les 4 secondes seulement). Le train principal
gauche touche 2 secondes, le train droit 1 seconde.
En ce qui concerne les actions de pilotage, on peut noter
les
points suivants:
- Pour la direction, l'annulation de la dérive ("décrabe") se fait
normalement: le cap passe de 262° à 50 ft, à 268 ° au moment
du toucher des roues.
- En profondeur, les corrections sont normales compte tenu de la
turbulence, cependant, 1 seconde avant le toucher des roues, on
constate (comme on le verra aussi en roulis) une action de l'OPL
qui devient opposée à celle du CDB pendant la remise de gaz, le
maximum de divergence étant à la seconde 07 h 34 mn 30 s où l'on a
16° (butée) à cabrer pour le CDB et 15° à piquer pour l'OPL.
En roulis, l'amplitude des actions augmente de manière importante
à partir de 25 ft et l'inclinaison atteint 15 ° gauche une seconde
avant le toucher du TP gauche. Comme en profondeur, l'OPL agit
également sur son manche mais cette fois sensiblement en phase
avec le CDB. La demande maximum en roulis (somme des 2 manches>
20°) est dépassée à deux reprises et l'inclinaison atteint 13 °
droite pendant la courte phase au sol (inclinaison maxi permise
par les moteurs 18°).
Le pilotage simultané dure environ 20 secondes, sans qu'une prise
de priorité soit enregistrée.
La seconde approche est mieux stabilisée, cependant on constate
encore des entrées intempestives de faible amplitude du manche
droit pendant 10 secondes au moment de l'arrondi et du toucher des
roues.
Cas 20.14
Commentaires DO.NY
Le COB avait demandé une analyse de cette approche sans fournir
d'autre information.
Dans l'attente des renseignements complémentaires demandés à
l'équipage, il semble que l'on ait là un cas grave d'actions de
pilotage, conscientes ou non, du PNF, sans que le PF en soit
averti. Le Contrôle des mouvements et de la trajectoire de l'avion
en turbulence deviennent alors complètement aléatoires et la
situation est potentiellement très dangereuse.
Au vu des enregistrements, le COB nous a donné les explications
suivantes:
"Au
briefing, l’'OPL me fait part de son inexpérience du vent de
travers proche des limitations sur A. 320.
CDB aux
commandes, je lui annonce que nous ferons un atterrissage volets
3
et qu'en cas de remise de gaz nous resterons dans cette
configuration.
Vers 1000
fi, le vent passé par la Tour est de 200/35-
43 kt ;
un B.
737
Sabena se pose sur la piste 27 et semble avoir
eu
des difficultés à l'atterrissage d'après le dialogue sol-avion.
Vers 50
fi,
alors que nous
subissons une forte turbulence, la Tour passe un vent du
190°/35-43 kt, l'avion part en
oscillation en
roulis et en lacet. Estimant un atterrissage dans ces conditions
risqué, j'entreprends une remise de gaz en annonçant "remise de
gaz. les volets restent à
3".
Manette cran TO GA, assiette de remise de gaz, la poussée tarde à
s'établir
(6 secondes).
Je diminue
l'assiette car le badin est en régression. L'avion part en
oscillation gauche-droite, je garde l'avion en palier pour
récupérer une vitesse confortable et reprends la montée. La
rentrée du train s'effectue une fois la trajectoire de montée
assurée.
Nouvelle
approche et atterrissage normal, configuration
3, vingt
minutes plus tard avec un vent du 220/33- 39 kt. Je vous
confirme que l'annonce "remise de gaz. les volets restent à
3" a bien été faite.
Après la
rentrée du train, je fais remarquer à l’'OPL que la poussée a été
longue à s'établir
(6
secondes) et il me dit qu'il pensait que j'allais reposer l'avion.
Je lui confirme qu'une fois initialisée, il n'était plus question
d'interrompre la remise de gaz.
Je découvre
avec stupeur l'action à piquer sur le manche de l'OPL, à la
lecture de l'enregistrement de paramètres, n'ayant pas eu la
sensation d'un pilotage simultané, mais pouvant me limiter la
prise d'assiette si j'en avais eu besoin. (L 'OPL me confirme,
suite à une conversation téléphonique, ne pas avoir agit sciemment
sur le manche et que dans son esprit il n’y
avait
pas de doute sur l'option remise de gaz).
Pendant le
palier, en attendant que la poussée s'établisse,je n'ai pas eu
conscience d'être en butée à cabrer, n'ayant eu aucune difficulté
à maîtriser l'assiette.
Pour ce qui
est des oscillations en roulis, je n'étais pas trop inquiet car
j'avais déjà subit de semblables oscillations lors d'un
atterrissage à Munich par
45 kt de
vent de face, volets 3
(incident qui avait déjà
fait l'objet
d'un RDC), et
j'étais conscient du peu de garde qui restait entre le réacteur et
le sol.
Arrivés au
parking, nous avons procédé à l'inspection visuelle des drains de
réacteur et saumons (RAS)
et
signalé les faits au mécanicien sol et équipage suivant.
REMARQUES:
1 - Faut-il
persister à poser l 'A. 320 par fort vent de travers et turbulence
volets 3 (gain des lois de pilotage volets 3).
2 - Ne
devrait-on pas, en situation de pilotage marginale,
systématiquement prendre la priorité pour éviter ce genre
d'incident, la doctrine ne disant rien quant à la
position des mains
du PNF.
3 - Ne
serait-il pas
judicieux d'équiper les avions de cette génération d'une alarme
"DUAL STICK", l'incident
s'étant déjà produit il me semble.
4 - Il
m'est déjà arrivé de me tenir au manche en reculant mon siège
et en forte turbulence, 1 'OPL
a pu agir
à piquer sur
le manche par inadvertance (saccades que l'on peut observer
sur l'enregistrement
du stick2 à
piquer). "
DO.NYa reçu de l'OPL les informations suivantes:
"Cette lettre pour me permettre
de vous confirmer que, dans
mon esprit, il
n’y
a jamais
eu de doute ni d'ambiguïté
sur la
remise de gaz, l'ordre
du CDB
a été: "Remise
de gaz. on
garde les
volets
3".
Je suis
très surpris d'apprendre que j'ai agi sur le manche, par contre,
je me souviens très bien de l'intensité des turbulences dues aux
rafales successives et de ce mouvement de roulis lent et de
forte amplitude dès la courte finale.
Cas 20.14
Je pense pouvoir me souvenir et
affirmer avoir serré le manche un peu plus fort qu'à l'habitude,
notamment après la RDG, étant donné la brutale surprise des
rafales à cet instant précis, car, si j'en crois ma mémoire, c'est
à ce moment là que nous avons subi les secousses et embardées les
plus violentes. C'est également au même instant que j'ai
REALISE que je ne savais pas comment agissait le CDB ,je
n'avais aucune idée de ses gestes, je les devinais, j'ai même
pensé rechercher la "croix blanche" sur mon P.F.D. (alors que je
savais qu'elle n'apparaissait pas en vol), j'ai eu alors une
désagréable impression d'impuissance, d'isolement et de passivité,
je n'avais qu'une information auditive de son pilotage: celle des
claquements de son manche sur les butées de roulis, je me suis
senti très gêné,trouvant cette situation déjà extrêmement critique
de ne pas savoir ce qu'il se passait sur la trajectoire. Si, à cet
instant, j'ai mis des actions sur le manche, j'explique cela par
des réflexes conservatoires ou d'aides. J'avais conscience de ma
possibilité de prendre la priorité sur le manche, mais pour quoi
faire, j'avais en même temps une entière confiance aux actions du
CDB. C'était pour moi un étrange paradoxe, d'être à la fois très
présent avec le maximum d'attention dans le cockpit, c'est-à-dire
prêt à réagir, et de ne pas avoir le minimum d'information sur le
pilotage du P.F.
J'ajoute, une nouvelle fois,
qu'à aucun moment je n'ai eu l'intention de piloter, après l'ordre
de remise de gaz, j'ai annoncé le FMA, mes yeux se sont
portés plusieurs fois surie
badin
(qui était régressif), le VARIO (< ou = à .O)
et les NI (réduits
pendant
6 à 8")
avant d'effectuer le MSG radio une fois établi sur la
trajectoire de remontée, après une -, séquence normale de
rentrée des traînées.
J'imagine que ce sentiment
d'inconfort j'aurais pu le vivre ces dernières années lors de mes
2000 h d'instruction (avion et planeur), dans des conditions de
vol en montagne, sous-ondulatoire et autre mistral, si je n'avais
pas eu de double commande lors de certaines phases de pilotage
éducatives.
C'est en toute franchise,
sincérité et honnêteté que je vous livre le souvenir d'une RDG
cahoteuse et inoubliable.
Je reste à votre entière
disposition pour des informations supplémentaires.
"
Discussion en Commission
La Commission se félicite de la coopération des deux Pilotes et de
la précision de leurs réponses.
La Commission considère que la conjugaison des manches sur A.320
et A.340 n'étant pas prévue, il faut trouver une solution.
L'Officier de Sécurité des Vols estime que le rôle de la
Commission est de mettre en évidence les problèmes et de les
transmettre aux services, ou organismes, concernés lorsque la
situation est potentiellement dangereuse.
La Commission approuve, comme dans le cas précédent, la
transmission du compte rendu au Bureau Enquêtes-Accidents et à
Airbus Industrie.
DO.VH se demande s'il est facile de piloter l'A.320 en maintenant
appuyé le bouton de priorité.
DO.VL estime qu'il y a moins de problème pour les Instructeurs qui
sont accoutumés à cette prise de priorité mais cela est moins sûr
pour le reste des Pilotes.
Il faut noter que ce bouton sert aussi au débrayage PA (par
impulsion).
DO:NU pense qu'ici cela n'a pas joué puisque le CDB ne se doutait
pas que l'OPL (PNF) agissait sur le manche.
Concernant l'utilisation de l'alternat du manche pour l'émission
radio, cela n'est pas plus gênant sur cet avion que sur les autres
en pilotage manuel.
En tout état de cause, une doctrine générale sur la position des
mains du PNF est nécessaire sur les avions équipés de mini-manche.
AIR FRANCE - Bulletin d'Analyse des
Vols n° 21
- Ce cas révèle une utilisation simultanée des manches en remise des
gaz à l'insu des deux Pilotes.
- En tenant compte du risque potentiel important de cette situation,
la Commission demande l'envoi, dans le respect du Protocole, du
compte rendu des faits de ce cas au Bureau Enquêtes-Accidents de
l'I.G.A.C.E.M. et à Airbus Industrie.
Le Commandant du vol a donné son accord à cette communication.