Témoignage
paru dans la revue "NORIA Magazine" n°3 d'octobre
1988 - Dossier "secours sur crash"
NOIRETABLE
un article de Fréderic JOLI
Mettre 7 heures pour retrouver en France un avion
de ligne écrasé parait aujourd'hui aberrant. C'était
il y a 16 ans, l'époque où balbutiaient les SAMU. (le
crash du Mt Ste Odile aura lieu en 1992, 4 ans plus
tard). Le sort a voulu que dans l'appareil écrasé
se trouve Sylvain Menthonnex, le fils de l'actuel
patron du SAMU de Grenoble.
Philippe Menthonnex révise dans une jésuitière de la
banlieue grenobloise. L'ambiance monacale du lieu
sied à ce jeune réanimateur de SAMU qui prépare,
loin des petits soucis familiaux, un concours
d'anesthésiste. Régulièrement, se femme Françoise et
ses enfants lui rendent visite. Aujourd'hui, 27
octobre 1972, tandis que Philippe bachotte,
Françoise accompagne Sylvain (4 ans) les petit
dernier des Menthonnex, à l'aérodrome de Lyon-Satolas.
En effet, Sylvain doit rejoindre pour une semaine
son parrain à Bordeaux. Françoise s'assure du bon
convoyage de son fils auprès des hôtesses, un bisou
"bon vol" puis reprend la route pour Grenoble.
De retour à la maison, elle appelle son mari: "ça y
est, Sylvain est dans l'avion, ça s'est bien passé,
par contre j'ai pris un gros orage sur la route.
J'espère que tout va bien." Coupé du souci immédiat
de l'embarquement de son fils, Philippe Menthonnex
demande à son épouse d'appeler l'aérodrome d'Aulna
pour s'assurer du bon changement d'avion à
Clermont-Ferrand. A Aulna, Françoise s'entend dire
par un brave employé d'Air Inter: "Madame, l'avion
de Lyon n'est pas arrivé (...)je ne peux rien dire,
je ne parlerai qu'à la commission d'enquête".
Affolée, Françoise rappelle son mari qui aussitôt
saute dans sa voiture pour la rejoindre.
A son tour, sur la route, Philippe Menthonnex se
prend un violent orage. "A ce moment, ça a fait
comme un tilt sur l'image d'un drame". Arrivé à
Grenoble, Menthonnex n'hésite pas à appeler à Paris
la Direction Générale d'Air Inter. Il fait valoir sa
double identité, père de passager et responsable
SAMU.
Chose extraordinaire, il obtient du premier coup au
bout de fil le sous-directeur de la compagnie. Il
est 22 heures. Le sous-PDG d'Air Inter lui confirme
la disparition de l'avion:
- Je ne vous demande qu'une chose, Monsieur le
Directeur, quel a été le dernier contact radio et
avec quelle tour?
- 19h18 Aulna Clermont-Ferrand.
- Qu'en est-il des secours?
Sans attendre la réponse, Menthonnex raccroche. La
télé vient d'annoncer dans un flash la disparition
d'in Vickers Viscount d'Air Inter près de
Clermont-Ferrand. Les journalistes sont depuis
longtemps déjà en train de chercher l'IT 696 et ses
68 passagers. Réflexe professionnel, Menthonnex
appelle ses confrères du SAMU de Clermont. Ils ne
sont pas au courant du drame, la préfecture ne leur
a transmis aucune information!
Henri Matthieu, son vieux copain du SAMU 63 n'est
pas de garde cette nuit-là. Menthonnex le réveille à
son domicile:
- Henri, mon vieux, Sylvain est dans un avion dont
on est sans nouvelles. C'est ton secteur, tu es
gentil, tu te démerdes!
Entre temps, le professeur Constantin, patron du
SAMU clermontois, active enfin son service. Coup de
fil maintenant à la Préfecture du Puy de Dôme. Le
Directeur de cabinet du Préfet brosse à Menthonnex
la tableau des recherches. Deux secteurs, l'un au
nord près de la commune de Noirétable, l'autre au
sud près de la Chaise Dieu.
- Nous ne disposons pas d'autres informations
conclut le dir-cab, mais on cherche. (...) De toute
façon, dès l'aube, nous engagerons des hélicos.
Menthonnex commence à bouillir.
- Si vous attendez demain, la neige aura tout
recouvert. Vos hélicos, y verrons que du blanc!
Conscient de l'idiotie qu'il vient de dire, le
Directeur de Cabinet, histoire de se rattraper,
convie le réanimateur du SAMU 38 à venir à la
Préfecture pour suivre les opérations depuis le PC.
Menthonnex l'envoie balader.
Malgré tout, le réanimateur ne tient plus en place
et décide de partir lui-même à la recherche du
Vickers. Il reçoit la bénédiction de son patron, le
professeur Stiblitz, soucieux de voir son disciple
"s'occuper". Menthonnex équipe une ambulance de
dotations "réa" enfant et adulte.
Grenoble-Noirétable
Il embarque le doyen des ambulanciers "le plus sage"
et bien entendu, Françoise, son épouse. La route de
Grenoble-St Etienne se fait dans un silence de mort.
De temps en temps, Menthonnex rompt la torpeur en
passant des messages radio à la préfecture. Enfin, à
l'entrée de St Etienne, après une x ième
communication, le préfet annonce:
- C'est à Noirétable que nous avons engagé le plus
de secours, allez-y et rappelez moi depuis la
gendarmerie.
L'ambulance fonce au nord. A l'entrée d'un hameau à
proximité de Noirétable, le perron d'une maison
s'allume, c'est la gendarmerie. L'ambulance pile,
fait marche arrière. Un gendarme se précipite vers
les Menthonnex:
- C'est au-dessus de Noirétable, dans le dos de la
Faye. Vite, foncez!
Pour le réanimateur, l'espoir renait.
- Si l'avion est tombé dans un bois, la chute a
peut-être été amortie, il doit y avoir des rescapés.
Il interroge le gendarme qui confie, incertain:
- A l'alerte, on ne nous a rien dit à propos de
survivants, mais on croit qu'il y en a!
Le véhicule repart sur les chapeaux de roues. Finit
le silence après la torpeur "Grenoble-Noirétable".
Le couple, tout en se changeant en tenue de montagne
se saoule de paroles et de suppositions. Enfin les
voilà à Noirétable. Pompiers et villageois balisent
les carrefours dans une noria de gyrophares. Suivant
le flot des badauds, l'ambulance s'engage dans les
bois sur un chemin de terre boueuse jusqu'à une
clairière, terme du chemin carrossable. Menthonnex
se présente à un pompier grédé qui passe:
- Je suis réanimateur, je pense qu'il y a du boulot
pour moi, où est l'avion?
L'officier lui indique un petit sentier...
Parcours du combattant
Chargé d'un matelas coquille et des dotations "réa",
le trio grenoblois commence à grimper. Le vieil
ambulancier "traine la patte", à l'inverse,
Menthonnex est déjà loin devant. Deux badauds
viennent délester Françoise et le "doyen".
Fébrilement, l'ascension continue. Soudain, des
cris: "des brancards, vite, c'est horrible, il y a
des morts". Un type exorbité jaillit sur le chemin.
Menthonnex l'attrape au vol et, sans succès, tente
de l'interroger. Dès lors, le réanimateur sème tout
le monde et rattrape un tracteur, celui du paysan,
le providentiel monsieur Crocombette qui donna
l'alerte après le flash TV de 22h30. Effectivement,
il avait entendu une explosion au dessus de chez lui
vers les 19h30 mais il n'avait cru bon de donner
l'alerte, "on n'en parlait pas encore à la télé". Le
tracteur à son tour se fait bloquer sur le sentier.
Menthonnex repart en courant, une odeur de kérosène
plane dans le sous bois, l'épave doit être derrière
cette petite crête. Le réanimateur, hirsute, croise
deux gendarmes:
- Y-a-t-il des rescapés? Y-a-t-il un enfant?
- Oui, il y a un petit garçon avec un drôle de nom,
bien de chez nous
Menthonnex balbutie:
- Sylvain?
- Oui, c'est ça, Sylvain, répondent en chœur les
gendarmes.
A leur étonnement, les deux brigadiers reçoivent une
puissante et bruyante accolade puis voient repartir
comme un fou dans les broussailles ce "drôle de
type". Bondissant et hurlant 'Sylvain, Sylvain',
Menthonnex arrive enfin sur la zone. Un journaliste
du quotidien "La montagne", Hubert Morelle
s'approche de lui:
- Sylvain est vivant, Monsieur, il n'a rien,
rassurez vous. Venez, il est là bas.
L'avion est en miettes au fond d'un thalweg, seul
l'empennage, passé lors de l'impact cul par dessus
tête est intact. Les neuf survivants sont d'ailleurs
tous issus des rangs arrières de l'appareil. Ils ont
passé 7 heures tête en bas, sanglés inconscients à
leurs sièges. Depuis une heure, les secours
s'organisent autour du docteur Bourdelle, le médecin
de Noirétable. Celui-ci a improvisé un poste médical
avancé de fortune grâce aux débris de l'appareil,
avec d'un côté les deux blessés lourd
polytraumatisés et de l'autre les moins atteints.
Sur les neufs rescapés, 7 sont allongés.
Retrouvailles
Sylvain, quant à lui, est assis, il souffre d'une
élongation brachiale gauche. Menthonnex arrive enfin
à son chevet, l'examine, le réexamine, le
réréexamine. Rien de grave. Alors les réflexes
professionnels reprennent le dessus, le père oublie
son fils dans les bras d'Hubert Morelle puis
s'affaire avec Bourdelle sur les deux blessés
lourds. Et Françoise Menthonnex? Voilà déjà
longtemps qu'elle se désespère, effonfrée, en larmes
dans le bois. Ne voyant pas revenir son mari,
ressassant l'image du type exorbité qui radotait:
des brancards, il y a des morts, etc, elle a perdu
tout espoir.
Mais Sylvain, comme tout enfant, commence à pleurer
et à demander sa mère. Alors, discrètement, le
journaliste descend à la rencontre de Françoise:
- Venez, madame, Sylvain n'a rien.
Autour de l'épave du Vickers, pompiers, gendarmes,
une équipe de télé et brancardiers s'agitent. Les
deux médecins, grâce aux sunlights de l'équipe de
l'ORTF, peuvent enfin travailler dans des conditions
de lumière acceptables. Vers 4 heures du matin
débute enfin la descente improvisée improvisé des
neufs blessés, soit 8h 30 après l'accident.
Au petit matin, les premières familles des victimes
arrivent à Noirétable. Les Menthonnex, "coupables"
d'avoir retrouvé leur fils indemne, s'éclipsent.
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