Illusion
somatogravique
Pour
les experts militaires, cette catastrophe aérienne est due à une
désorientation spatiale du commandant Volkov. Au lieu de se fier
aux indications des appareils, comme l’exigent toutes les
consignes de vol, le pilote s’est orienté sur ses perceptions
physiologiques. Son système vestibulaire lui « soufflant » que
l’appareil prenait de l’altitude trop rapidement, le commandant
a décidé de baisser le nez de l’avion. Par ailleurs, il a décidé
de compenser une déviation spontanée de l’appareil vers la
droite tout aussi illusoire en tournant le gouvernail à gauche.
Ses agissements sont finalement devenus chaotiques, rappelant,
pour reprendre les propos d’un des experts, « les mouvements
paniqués, en tout sens, d’un individu perdu en forêt ».
Toujours selon les experts, cette situation critique est due à
la « fatigue émotionnelle et physiologique » du commandant
Volkov, ainsi qu’à son manque d’« acquis solides » de pilotage
en conditions difficiles. Toutefois, les enquêteurs incriminent
non seulement les pilotes décédés, mais également leurs
commandants instructeurs. Le rapport d’enquête affirme ainsi que
ces derniers ont violé une vingtaine de consignes, stipulant que
les officiers d’aviation militaire doivent suivre de près la
formation des pilotes et, qui plus est, fait l’erreur de confier
un vol si important à un équipage relativement inexpérimenté,
choisi au dernier moment parmi plusieurs escadrilles.
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Les détails de la chronologie de l'accident
publiés le 31 mai
Les
enquêteurs ont pu reconstituer à la seconde près toutes les
circonstances de la catastrophe. Et, à les en croire, les
premiers problèmes sont survenus dès le décollage de l’appareil,
à l’aéroport d’Adler, à Sotchi.
Selon
les spécialistes, le commandant du Tu-154, Roman Volkov, « a
commencé d’éprouver des difficultés à s’orienter » alors qu’il
était encore au sol – lors du déplacement de l’appareil sur la
voie de circulation. Le pilote n’arrivait pas à déterminer de
laquelle des deux pistes de l’aéroport il devait décoller, ni le
meilleur chemin à emprunter pour la rejoindre. Grâce à l’aide
d’un véhicule d’accompagnement, l’avion est néanmoins parvenu
jusqu’au lieu du décollage et, à 05h24, s’est élevé dans les
airs avec un cap à 238°.
Toutefois, dès la 7e seconde après le décollage, une « situation
étrange » s’est établie dans le cockpit, estiment les
enquêteurs : le commandant Volkov, très agité et dans « un
lexique ordurier », a commencé d’expliquer à l’équipage avec
quel cap ils décollaient. Le pilote, poursuit le rapport
d’enquête, a en outre cessé de contrôler en personne les
paramètres de décollage et détourné ses collègues de leur
travail.
Après
avoir quitté le sol et donné à l’appareil un tangage approprié
de 15°, le pilote a commis son premier acte « illogique » du
point de vue des experts : il a repoussé le gouvernail,
ralentissant la prise d’altitude. À la 53e seconde de vol, alors
que l’avion n’avait atteint qu’une altitude de 157 m, le
commandant a ensuite ordonné à l’équipage de rentrer les volets,
bien que le règlement stipule de ne le faire qu’à partir de 500
m d’altitude. Le pilote continuant de repousser le gouvernail,
l’appareil a finalement, à 231 m d’altitude, commencé à
descendre. « Oh put*** ! », s’est alors exclamé le commandant,
en sentant que l’accélération, au lieu d’être positive – la
norme lors d’un décollage –, était soudain devenue négative.
L’avion s’est alors mis à perdre très rapidement de l’altitude
(6-8 m/sec). L’alarme censée prévenir l’équipage d’un
rapprochement dangereux avec le sol a retenti et, dans le
cockpit, le tableau rouge correspondant s’est mis à clignoter.
Aucun des pilotes ne semble, toutefois, y avoir prêté attention.
Pressentant manifestement le danger, le commandant a posé à on
ne sait qui une question rhétorique, toujours dans un langage
obscène, d’ailleurs restée sans réponse.
Dès
lors, les agissements du commandant, d’étranges, sont devenus
tout bonnement suicidaires : après un virage avec une légère
inclinaison à droite, d’environ 10°, il est brusquement passé à
une inclinaison raide vers la gauche, de 53°. La manœuvre a
triplé la vitesse de la descente.
Selon
les données de la boîte noire, à la 70e seconde de vol, le
Tu-154 ne se trouvait plus qu’à 90 m de la surface de l’eau,
chutant à une vitesse de 20 m/sec avec une inclinaison gauche
élevée. Les spécialistes sont sans appel : à ce moment, les
passagers étaient déjà condamnés – même le plus expérimenté des
pilotes n’aurait pu faire remonter un avion dans une telle
position. À 67 m de l’eau, le signal « Inclinaison gauche
élevée » s’est allumé. À 34 m, le commandant Volkov a
visiblement tenté de corriger son erreur en repoussant le
gouvernail jusqu’à son point d’appui à droite. En vain : à la
73e seconde de vol, l’appareil heurtait de l’aile gauche la
surface de la mer, se brisait et coulait. Au moment de l’impact,
l’inclinaison gauche était d’environ 50° et la vitesse
conventionnelle de 540 km/h. Au total, l’avion a parcouru 1 270
m au-dessus de l’eau, déviant considérablement à gauche par
rapport au cap fixé.
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